dimanche 23 juin 2013

Lumière

Là où vous êtes, je ne peux vous atteindre. Je le sais. Et je rage. J'enrage.
Les balles si. Et cette fureur à vous détruire, à vous formater dans le sang. 
L'espoir lui-même en perd son latin. Ses couleurs s'assombrissent. Sa sève légendaire, celle qui devrait mener les hommes plus haut, plus loin, vers l'horizon renouvelé, se tarit ici. Je la sais épuisée, anéantie sur l'autel d'une terre souillée, burinée de viols exaltés, labourée de fratricides revendiqués par des mains à la folie terreuse.

Vos visages amis virent au sépia. Vos paysages s'embrument dans les luttes obscures de ma mémoire.  Pour revenir sur vos rives, pour en sentir l'odeur âcre et chaude, m'irriguer de vos paroles au goût de miel, de vos regards ambrés de sagesse, de vos rires en colliers de candeur, le chemin est pavé désormais du sang de ceux qui n'ont plus de voix.

Les mots se délitent de n'être pas chantés, criés, scandés. J'agis autrement, j'essaie. Mais je rage. J'enrage. Condamnée à cette page sans épaisseur qui me devient une prison. Drogue amère d'une censure que j'agace mais qui résiste malgré l'urgence de s'unir... 
Je laisse ouvertes portes et fenêtres. Vous me le demanderiez. Et je vous répondrais oui car je ne sais pas vous dire non. Car vous ne m'avez jamais dit non.

Nous avançons, vous et moi, en des vies devenues parallèles. Vous, pour une vie à mourir sous le poids du scandale de la haine. Moi, pour une vie à vivre dans le lointain de vous, me sentant inutile à chaque instant, face à l'indifférence reine. 
Les mots ont perdu leur droit d'être. Aucun n'est assez digne pour vous sauver. Tous sont morts.  Affaiblis mille fois par le panel savant de discours pompeux ne trompant plus personne. Florilège nauséeux. Détournés. Déroutés.Vidés. 
J'ai beau penser aux autres guerres, celles d'hier, celles d'ailleurs. 
Et me dire que vous sortirez bientôt des boues noires qui piègent vos maisons. 
Et me convaincre que vos tentes d'exil ne sont que passagères.
Et que demain, vos enfants hisseront l'aventure d'un pays nouveau en étendard inébranlable. 
Et que la guerre, c'est la guerre.  
Et que l'homme est pétri de ces luttes opaques.
J'ai beau...
Mais, à force de lire dans les visages de vos enfants dénaturés, la morsure de vos coeurs, je sombre. Je rage. J'enrage. Des miens. De vous. De tout. De tous. De ne pas me contenter de ce qu'on me donne ici. Simplement. Une maison. Une famille. Un quotidien. Voilà tout. La belle affaire... Ils sont des millions à penser ainsi. Formatés du supermarché. Satisfaits.

Mais vous voilà toujours. Malgré le sépia qui vous blesse. Malgré la rage qui m'affaisse. Malgré ces lunes mauvaises qui manipulent mes jours. Malgré ces herbes folles qui se jouent de ma route. Malgré la fin des mots. Malgré l'empreinte du meurtre.
Et ma main se relève. 
Vos paysages me reviennent. 
Lumière. 

Marion Coudert

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