mardi 29 octobre 2013

Moisson - Premier passage

Photographie Nicolas T. Camoisson
Dans les veinures du grand "H" de l'histoire qui s'écrit et nous écrase de violence, nous savons que circulent nos résistances, nos forces, nos amours. Et les histoires, les images, les souvenirs qui nous attachent, nous relient à l'odeur du pays, sa douceur, sa mémoire, sa sève. Ce qui, en nous, garde la terre de Syrie debout. La belle, la fière Syrie, libre déjà, forte toujours... Je moissonne, à mon rythme, les souvenirs de ceux qui veulent bien me les confier. Une part de Syrie, petite part, part jolie, pour que l'oubli n'avale pas la lumière...


En trois sillons 

I... - Voyage de noces

Elle est française. De la Syrie, elle n'a connu que la guerre. C'est ainsi. Et elle s'est approchée de la Syrie avec un amour sans détour. Sans détour. Pour un homme, pour sa terre, son peuple, son histoire, son présent douloureux et cet espoir tenace toujours en filigrane. Elle a dit oui à cet amour dans son entier à Kilis en Turquie, au plus près du pays, dans ces zones frontières où l'on est entre-deux. Et peut-être aussi, finalement, hors frontières, au coeur d'une liberté qu'aucun territoire n'atteint ni n'engloutit. Et elle a dit oui à un voyage de noces unique. Elle avait un peu peur mais elle n'avait pas peur au fond. Elle a dit oui. Elle a marché avec son homme et ceux de ses amis qui se battent pour demain. Elle a pris un taxi, elle a mis un foulard. Elle a couru dans les herbes hautes, le corps courbé suivant les gestes précis de ceux qui l'entouraient et la veillaient. Et puis une voiture encore et une traversée éphémère, intense, sans arrêt. De la Syrie, malgré la guerre, elle en a senti l'âme, en un coup de vent chaud venant la saluer, apportant dans son souffle le rouge de la terre, la longue patience des oliviers et l'odeur musquée de la coriandre.


B... - Les glaces rouges

Il est syrien. Il aime écrire. Il vit en France, y travaille et s'y bat pour son pays. Chaque jour. Malgré l'exil. Malgré la rage. Chaque jour. Et dans ses mots reviennent les lieux d'une enfance que l'on sent joyeuse et simple, entourée et libre. Le voici qui, suivant le fil de ses mots, repart à Damas, dans le quartier Kassa, près de la place des Abbassides. Il repart vers ses huit ans, petit garçon débrouillard, petit homme en construction déjà. Il lui reste de cette enfance dans les rues de Damas des histoires de billets de dix livres mâchés d'être passés dans trop de mains. Et des histoires de courses qui se font comme un devoir mais qui sont aussi l'occasion, toujours attendue, d'une pièce à gagner, précieux graal, pour le plaisir défendu de s'offrir les glaces rouges qu'il avalait trop vite pour ne pas être surpris. Et des noms reviennent, Abou Zoheir, l'épicier, le salon Al Rajol, "salon de l'homme" où il n'a jamais réussi à avoir la coupe de cheveux courte espérée par sa mère et Marie Batbouta, la plus petite et la plus gentille des institutrices. Des noms, des visages et des jeux, "gratte et gagne un ballon", ces jeux-là qui donnent à l'enfance la saveur de la liberté au coin de la rue. Alors B... quand il n'écrit pas, il se bat, malgré l'exil et la rage, pour que les enfants de son pays puissent sans danger, libres et confiants, goûter la saveur des glaces rouges, celles qui laissent les lèvres froides, celles que l'on avale trop vite, celles qui éclairent une enfance.


N...- L'école buissonnière

Il est français. Il est arrivé en Syrie à neuf ans. Et tout a changé pour lui. La langue comme un choc brutal, la vie dans la rue, les files d'attente pour le rationnement dans la Syrie pauvre et sévère des années 80. Mais il parle aussi d'une lumière qui l'a bouleversé dès qu'il a levé les yeux sur elle. C'est cette lumière qu'il poursuit toujours aujourd'hui. La lumière de Syrie avec sa chaleur précise, avec ses matins frais et solitaires, là, exactement, où il appris le goût de la marche. Et quand la marche est trop belle... A regarder la ville s'éveiller, les marchands relever les rideaux, dévoiler les étals et s'amuser du petit garçon qui s'oublie tous les jours au détour des ruelles. Quand la marche est trop belle... Forcément, on oublie de prendre le chemin des autres... C'est là, à Damas, entre les ombres et les lumières, matins et soirs, dans les zéniths de chaque jour, qu'il a appris le goût de l'école buissonnière pour mieux courir, s'arrêter et guetter la lumière.


Marion Coudert





mercredi 23 octobre 2013

C'est à Bruxelles... le 15 novembre à partir de 18h30...
C'est pour les amis, les amis des amis et les curieux de passage.
C'est pour rendre hommage à la Syrie, la belle Syrie.
C'est une pensée pour le peuple syrien pris dans les pièges de la guerre.
C'est dans le bel espace d'un ami qui nous ouvre ses portes.
C'est sans chichis ni discours et vous y êtes les bienvenus.


lundi 21 octobre 2013

Sous nos yeux

Wassime Zakor, petit garçon de Syrie
Le petit Wassime est mort trois fois. Il est mort dans son coeur une première fois quand il a perdu ses parents soufflés par les bombardements. Il est mort une deuxième fois lorsque ses yeux se sont fermés sous la rage d'un sniper, lassé sans doute de le voir faire les poubelles. Et il est mort une troisième fois, abandonné, sans prières ni pensées pour lui. Son corps resté seul à se décomposer. Seul, là où il s'est écroulé.

Et nous ?
Sommes-nous vraiment encore en vie ? Pouvons-nous encore défendre que nous sommes humains, nous qui nous contentons de rajouter ce petit garçon au décompte des 8332 enfants fauchés par la rage ? Quels autismes nous enferrent à ce point ?  Quelles peurs nous entravent si lourdement ? Quelles folies de supériorité nous rabaissent si fortement ? A quelles froideurs décidées avons-nous souscrit ? Que reste-t-il de nous, de nos cités, de nos discours, de nos regards, de nos marches, de nos dignités ? Qu'apprendrons-nous à nos enfants ? Qu'allons-nous insuffler dans leurs coeurs si nous nous soumettons, serviles et sans conscience, à regarder le petit Wassime s'effacer de son corps sans un mouvement ? Quels chemins leur imposons-nous ?  Quel appel au secours, succédant à mille autres, franchira la ligne de nos fraternités éteintes ? Qu'est-ce qui peut encore sauver nos coeurs que nous délaissons tant ? Quand refuserons-nous de nous aliéner ainsi de nos âmes ? Quelle douleur de ces autres que nous voulons lointains rongera assez nos mémoires pour que nous nous levions à nouveau ? Quelles colères nous secoueront suffisamment pour que nous appelions à la fin du supplice de ces enfants ? Nous sommes-nous perdus dans les dédales de nos si fragiles libertés ? Quand avons-nous pactisé avec l'indifférence ? Quand avons-nous renoncé à nous laisser traverser par l'amour ?
Quand prendrons-nous enfin le petit Wassime et les enfants de Syrie dans nos bras, dans nos coeurs, dans nos élans de vie ?
Quand marcherons-nous à nouveau vers notre humanité ?

Marion Coudert

samedi 19 octobre 2013

Aujourd'hui, c'est la journée internationale de solidarité avec le peuple syrien.
Mais les autres jours ?...
Ne nous détournons pas de ce qui blesse profondément notre humanité commune.
Choisissons d'être présents pour les enfants de Syrie comme s'ils étaient les nôtres.
Refusons le silence qui étouffe les souffrances d'un peuple en danger.
Choisissons la dignité de la fraternité.
Soyons solidaires. Ensemble.



jeudi 17 octobre 2013

Invisibles

Rue de Damas - ©Nicolas T. Camoisson
Voilà que le temps vous gangrène et qu'il s'amuse de nous inscrivant les nouvelles qui nous viennent de vous dans une banalité consentie. Voilà que nous avons appris à vous regarder souffrir. Sur les barques noyées de l'exil ou sous le feu des haines folles. Voilà que nous n'écoutons plus ce qu'on nous dit de vous que d'une oreille lasse, à peine attentive. Et nos portes se ferment, frontières endurcies. Et l'on vous compte comme des gouttes, entre transparence et poison, suspectes avant tout de trop de misères.

Voilà que le temps gagne la partie. Lentement, surement, sans conscience, nous prenons distance de vos souffrances, liste quotidienne, récurrente, sans attrait ni tension, étape convenue d'un journal où vous avez fait votre place désormais. Fatalement.

Voilà que le temps se mêle de tout ça avec un air de double peine. Chaque jour, un peu plus chaque jour, l'indigne ravage de vos vies vous éloigne de nous. Voilà que vous nous faites peur avec vos charges de marches douloureuses vers des ailleurs hostiles, avec vos cimetières étouffés, avec vos matins inquiets pour le pain, vrillés par les cris des ventres des enfants.  Et vous voici, vous humains au même rang que nous, devenus des êtres de papier, animant malgré vous l'amer spectacle auquel nous nous soumettons. Les programmes sont ainsi faits.

A force d'analyses emmêlées hissant les enjeux, les dérives et les doutes. A force de brûler, de tenter d'écraser l'élan simple levé comme une évidence. A force de savants discours sur les possibles de vos déraisons. A force d'images vous privant de lumière, pixelisées du sang de vos enfants. A force de ne dire de vous que la guerre et la rage. A force... Voilà que le temps nous détourne de vous.

Et comme si l'abandon ne suffisait pas, voilà que vous devenez invisibles.

Marion Coudert

lundi 7 octobre 2013

Combien d'années ?

Il faut tant d'années pour qu'une noria trouve le chemin du fleuve. Tant d'années pour que ses arbres grandissent, s'irriguent de force et de sève. Et qu'adviennent pour elle la légèreté gracieuse du peuplier, la densité charnue de l'abricotier, la ténacité discrète du mûrier, la sagesse gourmande du noyer et la force altière du chêne. Et que s'écrive enfin l'heure de choisir les plus beaux d'entre eux, ceux qui donneront à la roue son caractère et son histoire. Et puis patiemment, il faut accompagner les arbres, leur laisser le temps de sécher, les caresser, les tourner, les faire respirer avant de les façonner sans les blesser. Il faut pour cela des mains d'hommes, agiles, douées et attentives. Ces mains-là qui parcourent les bras à venir de la roue. Ces mains-là qui sculptent chaque cale, chaque pale, les madriers, cercles, coussinet et moyeu. Ces mains-là qui s'approchent des arbres, prolongent la vie de la rive à la rive du fleuve qui attend. Dans la sueur rouge de la forge, naîtront les clous, pointes affûtées pour pénétrer les bois, têtes solides prêtes à conjuguer avec l'élan puissant des frappes. Puis, pour la roue qui s'invente, vient le bel instant de dévoiler ses formes. Sur les deux cercles bleus tracés au sol, c'est là qu'elle affirmera son désir d'être compagne du fleuve, complice des saisons, maîtresse des moissons. Ce moment-là n'est que pour elle. Elle se sait reine sous la main des hommes qui l'attendent, l'imaginent, la révèlent. Humblement, fièrement ils la célèbrent. Et la voilà qui naît, farouche et libre comme le fleuve. Ensuite, elle va grandir, s'épanouir de sa rencontre avec la tour et le triangle, hôtes millénaires à la présence sage qui la reconnaissent et l'accueillent. Les hommes alors démarrent leurs danses, légères et amples. Leurs masses frappent les clous et les cales. Leur rythme précis et dense préfigure le chant à venir. Et tout est jeux. Et le puzzle se dessine entre poids et contre-poids, dans l'harmonie des mouvements. Et la roue prend corps sans contrainte, entourée et aimée. Pour que vienne le chant. Ce chant unique de la première fois, mise en eau, ode au fleuve.

Alors seulement, elle s'élance. Et les hommes font silence.

Tant d'années... Il faut tant d'années pour qu'une noria chante la vie du fleuve et de la terre. Des années pétries de siècles de savoir, de transmission patiente, empirique et confiante.

Il a fallu moins de trois ans pour mettre à terre le pays des norias, le ravager, le buriner, tout bousculer, étouffer, dénaturer et insulter. Moins de trois ans pour atrophier l'espoir et engloutir les rêves. Moins de trois ans pour noyer son peuple de famine, de blessures au corps comme dans l'âme, d'exils désespérés, de sillons de larmes. Moins de trois ans pour faire des différences des murs infranchissables aussi surement qu'elles étaient des chemins. Moins de trois pour contraindre à la rage.

Combien d'années ? Combien d'années, de mémoires, d'oublis et d'efforts pour réparer, relier, apaiser, revenir à la vie ?

Marion Coudert

mercredi 2 octobre 2013

Sous terre

Faudra-t-il s'en remettre à la magie, aux herbes folles, aux herbes étranges pour que rentrent sous terre la rage, l'indigne et le sauvage ? 
Blessée de tant d'injures, comment la vie peut-elle encore s'ancrer aux voiles d'espérance ?
Combien de chemins faudra-t-il défricher dans la forge sombre des mémoires ?
Où sont les colliers de sagesse ?