jeudi 17 octobre 2013

Invisibles

Rue de Damas - ©Nicolas T. Camoisson
Voilà que le temps vous gangrène et qu'il s'amuse de nous inscrivant les nouvelles qui nous viennent de vous dans une banalité consentie. Voilà que nous avons appris à vous regarder souffrir. Sur les barques noyées de l'exil ou sous le feu des haines folles. Voilà que nous n'écoutons plus ce qu'on nous dit de vous que d'une oreille lasse, à peine attentive. Et nos portes se ferment, frontières endurcies. Et l'on vous compte comme des gouttes, entre transparence et poison, suspectes avant tout de trop de misères.

Voilà que le temps gagne la partie. Lentement, surement, sans conscience, nous prenons distance de vos souffrances, liste quotidienne, récurrente, sans attrait ni tension, étape convenue d'un journal où vous avez fait votre place désormais. Fatalement.

Voilà que le temps se mêle de tout ça avec un air de double peine. Chaque jour, un peu plus chaque jour, l'indigne ravage de vos vies vous éloigne de nous. Voilà que vous nous faites peur avec vos charges de marches douloureuses vers des ailleurs hostiles, avec vos cimetières étouffés, avec vos matins inquiets pour le pain, vrillés par les cris des ventres des enfants.  Et vous voici, vous humains au même rang que nous, devenus des êtres de papier, animant malgré vous l'amer spectacle auquel nous nous soumettons. Les programmes sont ainsi faits.

A force d'analyses emmêlées hissant les enjeux, les dérives et les doutes. A force de brûler, de tenter d'écraser l'élan simple levé comme une évidence. A force de savants discours sur les possibles de vos déraisons. A force d'images vous privant de lumière, pixelisées du sang de vos enfants. A force de ne dire de vous que la guerre et la rage. A force... Voilà que le temps nous détourne de vous.

Et comme si l'abandon ne suffisait pas, voilà que vous devenez invisibles.

Marion Coudert

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