dimanche 29 avril 2012

Danser la dabké

Danser avec la roue. Hama-Syrie. Photo N.T. Camoisson
Voici venir le temps des guerres.
Le temps des clans et des camps et de tout ce que les hommes puiseront dans leur imaginaire de barrières, murs, fossés, fer et feu pour diviser, atteindre et détruire.
Récemment, l'écrivain marocain Salim Jay invitait, dans un article pour Souria Houria, à la lecture de deux poètes syriens majeurs, Nizar Kabbani et Mohamed Al Maghout. Son appel, pourtant, contenait une réserve signifiant que "ce serait frivole de convoquer la poésie en ces temps de détresse". On reconnait là la délicate prudence de l'écrivain magnifique qu'est Salim Jay et qui sait, pour les avoir traversées, les mille blessures de l'âme des hommes. Il me semble cependant qu'il faut, au contraire plus que jamais, aller à l'encontre de l'avis de Salim Jay et lire la poésie, l'écrire, la mettre en scène, la chanter, lui donner voix, voie et lumière. Il me semble même que cela n'est pas assez. Il faut aller plus loin encore et dépasser les limites de la poésie... La révolution devrait être l'ouverture, la sortie de l'ombre, le début de la marche vers l'autre.
A chaque rencontre avec des militants syriens, à Paris, Bruxelles ou dans le sud de la France, revient toujours, comme une complainte en forme de slogan, la solitude des Syriens et l'indifférence des Occidentaux face à la détresse de leur peuple. Je ne crois pas que ce soit de l'indifférence. Parlons plutôt de méconnaissance. 
La Syrie n'est pas le Liban. Petit pays le Liban voisin, pas plus grand qu'un département français mais qui, malgré plusieurs décennies de guerre, a toujours véhiculé l'image d'un pays de culture, de poésie, de création, de pensée, de liberté, l'image d'un grand pays. Si je dis Liban, des écritures s'invitent immédiatement, Andrée Chedid, Amin Maalouf, Georges Schéhadé, Vénus Khoury Ghata, Elias Khoury, Khalil Gibran... Tous ont parlé de la guerre mais ils ont aussi écrit la vie, l'homme, la folie, la beauté, le voyage, la terre, les racines, la ville, l'amour, la mère... Et puis le cinéma, la peinture, la cuisine, l'art de vivre, la fierté d'être libanais, sont autant de graines semées et que le vent a su diffuser sur nos terres... Et, si vous questionnez un français sur le Liban, il y a fort à parier qu'il vous parlera de ce pays où l'on peut, en une journée, saisir la mer et la montagne, le miel et le lait, ce pays francophone, marqué par la guerre mais qui s'invite volontiers sur les sentiers de la culture française.
Damas résonnera-t-elle un jour comme Beyrouth dans le coeur des français ? Les vendeurs de Kefta de Bruxelles oseront-ils enfin enlever le drapeau libanais de leur vitrine pour mettre à la place celui de leur pays ? Ou bien la guerre, le sang, l'horreur de chaque image partagée définiront-ils à jamais la Syrie ? Le pays des norias, de la cité de Zénobie, des ombres du souk d'Alep, du silence serein des villes mortes et du jasmin des ruelles de Damas, ce pays-là, traversé de beautés, d'art et de poésie, n'a-t-il qu'à donner de lui que le sang, les larmes, la sauvagerie, le combat sans limite, la mort des enfants, l'histoire ravagée d'un dictateur et de sa femme ? 
Ils sont vaillants. Ils sont courageux et tenaces les militants syriens qui se battent, à Paris et ailleurs,  intellectuels, artistes et citoyens qui s'étonnent, se scandalisent de l'absence des français à leurs côtés lors des manifestations. Ils ont le coeur déchiré, la colère au bout des lèvres, la révolte dans chaque geste. Ils se sentent coupables d'être loin de leur frères alors ils redoublent d'efforts pour hisser au plus haut les couleurs de leur révolution. Légitime. De temps en temps, en une action d'éclat, des stars françaises donnent un peu de leurs temps et de leur image mais rien n'y fait, pas de mouvement de fond, pas de vague blanche pour réchauffer, donner le courage, l'audace et le réconfort et renverser le cours de l'histoire qui s'écrit. Invisibles, c'est certainement ce que ressentent les exilés de la révolution syrienne. Invisibles et seuls.
Je crois en un chemin, celui de la culture, celui de la beauté. Je crois qu'il faut danser la dabké justement parce que la mort menace chaque jour. Je crois qu'il faut dire, crier, chanter la beauté de la terre, la lumière du matin sur la Ghouta, l'opulence des vergers, la richesse des coutumes, la pluralité des cultures, la force d'une grande histoire. Je crois qu'il faut montrer en Occident la Syrie, non pas à travers la fureur d'un présent indigne mais en plongeant dans l'intemporelle beauté d'un pays qui trouve son souffle dans le chant des déserts et son envol dans la tension plurielle des villes. Renier ce chemin pour n'être que dans la réponse à celui que l'on combat n'est qu'un autre chemin vers la défaite.
Je crois qu'il faut chanter plus que jamais et écrire et dire autant de poésie que l'on peut.
Je crois qu'il faut danser la dabké.

Marion Coudert.
 

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