lundi 6 février 2012

Saisir la lumière

Vendeur de roses, Hama-Syrie. N.T. Camoisson
Le sang du printemps 12/...

Najah al Attar était, à l'époque, Vice-présidente de la Syrie pour la Culture. Je l'ai rencontrée à plusieurs reprises dans le cadre de mon travail sur les norias de Hama avec le photographe Nicolas Camoisson. C'était déjà une vieille dame, petite, gironde, usée mais digne. Son poste, un titre parmi d'autres, ne signifiait pas grand chose. Elle n'avait pas d'autres pouvoirs que ceux de recevoir dans ses salons, d'offrir une oreille attentive et éventuellement de prodiguer quelques conseils. Elle n'avait aucun moyen financier ni logistique et très certainement aucune influence. Elle n'a rien fait de concret pour le projet "Noria al Salam" que nous portions à bout de bras depuis des années.
Personne n'a rien fait d'ailleurs ni en France ni en Syrie pour soutenir notre projet. C'était comme si la Syrie, son patrimoine, son histoire, sa beauté étaient invisibles. Invisibles en France où la plupart de nos interlocuteurs avaient comme image première de la Syrie une toile sombre, un paysage traversé de dangers, une obscurité confuse. Invisibles aussi en Syrie où j'ai été frappée bien souvent par un mouvement de désamour des syriens pour leur pays et ce qu'il représentait. Au cours de tous mes voyages, j'ai souvent ressenti chez mes amis ou chez les gens que nous rencontrions une forme de lâcheté d'être qui ne leur ressemblait pas mais dont ils ne pouvaient se défaire. Dans le pays voisin, être libanais a toujours été une formidable carte de visite. Être syrien, au contraire, était une peau inconfortable, une couleur que l'on souhaitait gommer parfois, effacer, fondre. Il a fallu l'Espagne, le pays de l'Andalus, pour que la beauté des norias syriennes transcende le présent craquelé de ce pays.

Najah al Attar a fait beaucoup plus pour moi que toutes les aides financières dont nous aurions eu besoin. Nous avons parlé et elle a parlé. De ce que c'était pour elle que d'être arabe, d'être syrienne, de son inquiétude pour une identité qui lui semblait se perdre dans le béton des villes, de sa fierté d'appartenir pourtant à une si grande et si belle civilisation. Peu à peu, au fil des mots qui remuaient entre nous, le visage de cette dame réservée s'est empourpré d'une vitalité retrouvée.
En elle, se rassemblaient la douceur et la sagesse d'un peuple, fragile parce que malmené, en doute, dans l'attente d'une lumière à saisir.
A saisir et à révéler.

Marion Coudert

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