vendredi 8 novembre 2013

Nous ne viendrons pas

Nous sommes ici. Vous êtes là-bas. Nous en parlons. Vous traversez. 
Nous sommes ici. Vous êtes là-bas. Nous regardons. Vous en mourez.
Nous avançons sur une ligne étroite les yeux fermés. Vous avancez dans le tunnel les yeux ouverts de vos courages. C'est une histoire de confiance. C'est parce que la terre de Syrie est dans le coeur de vos enfants. Terre bleue des sages que vous êtes. Elle vous porte pendant que nous enlisons nos marches.
A nos fenêtres, nous accoudons nos volontés, lourdement. Sur vos chemins, vous vous hâtez, vous sauvez les enfants. Et nous, au coeur de nos villes, à l'approche du froid, nous mettons les enfants dehors. Les enfants des pauvres.

Alors, hâtez-vous, marchez, traversez, mourez. Nous ne viendrons pas.
Nous ici. Vous là-bas. C'est ainsi.

Il n'y a que la confiance qui peut vous détourner des équations rageuses. Et elle est là tapie dans les plis de l'espoir que vous maintenez. Elle est chargée de votre histoire et des pages que vous venez d'écrire.

Et quant à nous... Nous n'avons que le goût de l'oubli. Nos mémoires muettes ne questionnent plus rien de ce que vous arpentez avec votre dignité de femmes et d'hommes libres. Nous avons fait le choix de la peur. Nous avons trahi nos matins. Et rien, même l'enfance, ne trouve de grâce à nos yeux.

Mais si un jour, à nouveau, nous nous levons comme vous vous levez, si nous nous battons comme vous vous battez. Contre la mort. Contre la peur. Contre la boue de ces autres que rien ne fatigue ni n'adoucit.
Et si ce jour arrive, parce que l'ombre attend son tour, forte, toujours plus forte de ses haines rentrées, je ne sais si notre terre nous portera, si elle nous aimera comme la vôtre vous conduit. Ni même si nous serons debout comme vous l'êtes, fiers, blessés mais fiers. Il nous faudra, avant, tout réapprendre du prix de la liberté. Tout réapprendre de l'essentielle dignité que nous ne célébrons plus.
Marion Coudert


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