mardi 28 mai 2013

Tristes sires

Les voici. Tristes sires. Ils attendaient, tapis dans l'ombre des ombres, rageant d'être si loin de la lumière de la mitraille. Ils avançaient pourtant, posant leurs jalons d'aversions comme autant de pierres trop lourdes à défaire, attisant tous les feux, noyant chaque levée. Sur les souffles de dieux qu'ils jugent différents, laborieusement, ils échafaudaient mille fermetures. Débridant la nocivité des imaginaires, ils ont hissé patiemment, orchestré savamment, fossés et barricades. Ils sont prêts, ils exultent, trépignant de nostalgie à l'idée de retrouver le seul langage qu'ils reconnaissent. Ils appellent déjà, pour mieux se déchirer, les frères ennemis de chaque montagne. Et les vieux seigneurs de la guerre, décatis mais volontaires, vont enfin goûter une seconde jeunesse. A nouveau, la danse fiévreuse, dont ils s'abreuvaient jadis, va relancer son pas.

Les voici. Tristes sires. Haranguant les foules, en osmose parfaite, ils touchent au but enfin. Car ils ne sont pas repus. Ils veulent plus. La terre voisine qui agonise de douleur, qui s'annule lentement dans le meurtre de ses enfants, n'irrigue pas assez leur vision du futur. 

Sur leur route, aucun obstacle

Ils se moquent bien des paysages de leur terre, gangrenés d'anarchie, qui sonnent comme une urgence. Et que les enfants du pays des cèdres n'écrivent plus qu'un avenir dans le lointain des diasporas n'entame pas leur élan.

Aucun obstacle.

Pas même les souffles mélangés sur les trottoirs de la Corniche
Et la fraicheur d'un réveil entre mer et montagne sur les chemins d'Aley
Et l'âme conteuse du port de Saïda
Et l'ombre fatiguée des rues de Tripoli
Et l'empreinte effacée des maisons de Sofar
Et la majesté de Baalbeek
Et le désarroi des vieux cèdres

Aucun obstacle

Ni le jasmin éreinté de combustibles guerriers dans les rues de Damas
Ni les minarets éclatés d'une Alep en partance
Ni la folle agonie du visage de Homs
Ni l'absence consternante de ce pont, part de l'Euphrate
Ni la fin programmée des belles roues de l'Oronte
Ni le décompte obscène des noms des enfants qu'il faut pleurer
Ni les mille détresses des exils

Aucun obstacle

Celui-là même. Formulé par les femmes et les hommes, de Damas à Beyrouth, de vivre. Libres. Simplement. Celui-là même est à détruire plus que les autres.

Aucun obstacle
Un seul chemin
A portée de main
Le graal sacré de la haine de l'autre
Tristes sires.

Marion Coudert

2 commentaires:

  1. Texte admirable de cette terre arab(l)e teintée de mille autres facettes et de ce peuple épris de liberté et en quête d'humains pour l'aider à l'atteindre.
    Bravo Mario..

    Mohamed Mahmoud

    RépondreSupprimer
  2. Texte admirable de cette terre arab(l)e teintée de mille autres facettes et de ce peuple épris de liberté en quête d'humains épris de liberté pour l'aider à l'atteindre.

    Bravo Marion..

    Mohamed Mahmoud

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