mardi 10 septembre 2013

Syrie : pays du Mal ?

Domenico Quirico est rentré de Syrie après cinq mois de captivité. Cinq mois d'une "odyssée terrifiante" à travers le territoire syrien pour ce journaliste aguerri de la Stampa qui en revient avec un récit chargé de souffrances et de pessimisme. Pendant que les uns et les autres décortiquent à l'envi la véracité de ses propos, une seule question pourtant se pose : la Syrie est-elle, comme il l'a affirmé, le pays du Mal ? Le pays des norias a-t-il définitivement tourné la page d'une douceur et d'une beauté particulières qui étaient une part inhérente de son identité? Au début de la révolution, et il y a un an encore, parler de la culture et du patrimoine syriens n'était pas considéré politiquement décent parmi les opposants syriens en exil ou ceux des occidentaux qui les soutiennent. Aujourd'hui encore, souhaiter évoquer ces parts intimes de ce qui fonde la Syrie et son peuple est toujours relégué comme démarche secondaire, lubie de poète. Et pourtant n'est-ce pas là que tout réside ? Pour ceux qui se tiennent en distance du peuple syrien, dans une réserve mêlée de méfiance et de peur, n'y-t-il pas là un espace possible pour fédérer une solidarité et ouvrir la voie d'une empathie qui manque tant ? Le pays du Mal aurait-il pu faire naître ces roues puissantes et fluides qui portent en elles, comme un message unique, la légèreté gracieuse du peuplier, la densité charnue de l’abricotier, la ténacité discrète du mûrier, la sagesse gourmande du noyer et la force altière du chêne ? Les hommes qui veillent les grandes roues et leur prodiguent tous les soins sont-ils, sans retour possible, définitivement incapables de pitié, de miséricorde, de compassion ainsi que le pressent Domenico Quirico ? Ceux pour qui, quand ils sont auprès des norias, tout s’efface, ceux qui marchent sur la roue verticale comme si elle était au sol, ceux qui marchent sur les bras de la roue comme s’ils étaient une route, un chemin connu depuis l’enfance, mille fois empruntés ne sont-ils donc à voués qu'à cette rage dont on les affuble aujourd'hui ?
Leur danse pourtant lorsqu'ils restaurent les norias, est chargée d’une mémoire ancestrale. Elle dessine la sagesse du mouvement et la virtuosité de la lenteur. Elle n’a d’autre ambition que de décrire toujours l’harmonie de l’altérité et du mouvement.  
Et ces jardins qu’ils aimaient et aiment encore comme leurs norias ne comptent-ils pas dans la vision que nous pouvons avoir d'eux depuis nos fenêtres occidentales ? Jardin de grenadiers, de mûriers, de jasmins, de légumes et de roses. Des jardins comme une seconde maison où ils passaient l’été le plus clair de leur temps, où les femmes y faisaient pousser la menthe, le thym, le romarin et le persil et où les enfants y avaient une aire de jeu secouée d’odeurs et de couleurs.
L'émotion qui a secoué le coeur de tous ceux qui veillent la Syrie lorsque le pont de Deir ez Zor s'est effondré, quand le Krak a été bombardé ou la ville d'Alep et son merveilleux souk ravagés, cette émotion ne peut-elle pas être le levier juste pour donner à voir de la Syrie et des Syriens d'autres chemins que ceux du sang et de la rage ? N'y a-t-il pour défendre la terre de Syrie que le filtre des analyses politiques ? Pour renverser l'indifférence n'existe-t-il que la voie des accusations d'abandon coupable et d'inhumanité ? Pour répondre à la sentence dénuée de tout espoir d'un pays qui ne sombrerait que dans le mal, n'y a-t-il pas urgence, plus que jamais, à faire revivre cette mémoire si malmenée? La faire revivre, lui donner la chance de la lumière, la force du souffle. C'est sans doute l'attente logée dans le coeur des enfants piégés dans l'exil. Que l'on dise leur pays, sa lumière, ses beautés, ses matins et l'espoir, au-delà du présent, pour demain.

Marion Coudert.

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