lundi 26 août 2013

Vous parler de la Syrie

Photographie Nicolas T. Camoisson
Loin des savons d’Alep, des marqueteries et des soieries célèbres, sentiers nobles et balisés d’une ouverture de l’artisanat traditionnel syrien au monde, à l’ombre des lumières d’une reconnaissance et ne la cherchant pas, ils fabriquaient des échelles. Leur production en Occident aurait pris des allures d’installation conceptuelle inédite. On aurait surfé à l’envi sur un jeu possible avec les échelles du Levant, l’idée d’une élévation symbolique et poétique ou étoffée de quelque dose de surréalisme pour des échelles n’indiquant que la voie du ciel… Mais eux, dans l’odeur boisée de leurs ateliers, en périphérie, c’est à la terre qu’ils s’ancraient, à leurs mains menuisières qu’ils donnaient impulsion. Et ils caressaient, rabotaient et lissaient les bras de peupliers en pensant à ces autres mains qui allaient s'y arrimer après eux pour atteindre quelques trésors enfouis sur les étages haut perchés, dans le fond des boutiques ou récolter, la saison venue, ce que la terre prodiguait de fruits. Chaque échelle unique racontait l’histoire d’un arbre, de la lumière qui l’avait éveillé et de la sève qui l’avait nourri sur la terre de Syrie. 
C'est de cette Syrie-là dont je voulais vous parler, de cette terre lumineuse, éprise du matin, amoureuse du ciel. De cette autre Syrie, plus secrète, plus vraie, celle que vous auriez pu aimer. De ce peuple aux mains d'or, peuple courageux que les rires clairs n'effrayaient pas malgré la lourdeur d'une vie de labeur, peuple discret et fraternel, ce "petit peuple" comme l'on dit avec un certain dédain quand on se trouve trop haut pour les regarder.
Mais aujourd'hui, quelle que soit notre hauteur de vue, tout est devenu inutile. Puisque tout est désormais gaz et canons, prisons et tortures, viols et meurtres, exils et faim. Oui tout cela est devenu caduque puisque rien ne vous ouvre ni les yeux ni le coeur. Puisqu'il est possible désormais de ne pas se lever pour les enfants de Banyas burinés de poings et de couteaux. Et toléré, banal, de repousser l'image de ceux de la Ghouta, ces tout-petits, dont les derniers souffles ont étouffé de gaz.

Marion Coudert

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