mardi 30 avril 2013

Wared Wared Wared

A la création du Sang du printemps au début de l'année 2012, j'ai choisi de ne jamais publier d'images de violence ou de destruction mais au contraire de rendre hommage par l'image à la beauté de la Syrie, de son peuple et de sa terre. D'accompagner comme je peux, à ma mesure, avec mes mots et les images de Nicolas T. Camoisson, la si difficile traversée vers la liberté du peuple syrien.
Depuis deux ans, comme vous, je vis avec les images d'enfants, de femmes et d'hommes blessés, mutilés, assassinés. Elles s'additionnent à celles des paysages dévastés et d'un patrimoine exceptionnel mis à sac méthodiquement. 

Depuis deux ans, comme vous, je fais le constat que tous les sommets de la négation de l'humanité comme de l'histoire ont été franchis. Hormis dans les irresponsables langages politiques, il n'est plus question, d'ailleurs, de ligne rouge depuis longtemps. La seule ligne rouge franchie l'a été à la fin du souffle du premier enfant, de la première femme, du premier homme. Tout le reste, tout ce qui a suivi, tout ce qui suit encore, est au-delà de cette ligne qui nous garde humains. 

Aujourd'hui, je fais une exception à la règle que je me suis fixée. Ce sera la seule. 
Pour cette enfant sans visage. Pour sa mémoire. 
Et puis aussi parce que cette image, plus que toute autre, m'est insupportable. 

Mettons de côté, dans l'ombre des ombres, ceux qui parleront de manipulation, de propagande, de mise en scène, ceux qui seraient tentés d'aller chercher dans les recoins des fonctions photoshop de quoi nourrir encore l'aveuglement.

Cette enfant, seule, partie seule vers la mort, incarne l'état de tout un peuple. Un abandon absolu sans possibilité de recours, d'arguments, de gesticulations savantes. Un abandon. Dans la version la plus cruelle et la plus absolue du terme.
Du plus profond de la peur qui a du la saisir d'être si seule, l'enfant sans visage nous appelle.
La dernière image qu'elle nous a laissée d'elle exige que nous allions au-delà de nous-mêmes.
Pour elle. Et pour le peuple dont elle est l'enfant.
Nous tous.
Nous tous qui sommes ici, loin de la Syrie.

Elle impose que tombent les barrières qui verrouillent la montée d'un vrai soutien au peuple syrien.
Que tombent toutes les barrières.
Celles érigées entre les opposants syriens en fonction de leurs orientations politiques.
Celles dressées entre Syriens et non Syriens.
Celles instituées entre capitales et provinces.
Celles échafaudées par un certain snobisme médiatique, par un certain snobisme intellectuel, élan piégé dans les moelleuses certitudes des clubs fermés.
Celles qui déterminent la légitimité des uns et la censure des autres.
Celles qui mettent toujours en accusation l'indifférence de la société civile occidentale sans jamais faire un pas vers elle pour dire la Syrie, la belle Syrie, pour raccrocher, toucher, amener à la solidarité.

Pour la mémoire de l'enfant sans visage, nous avons le devoir de dépasser nos égos, de questionner nos positionnements et la valeur de nos démarches, de bousculer avec honnêteté nos fermetures, de retrouver le chemin des fraternités perdues, de creuser plus loin en nous-mêmes pour fédérer à nouveau.

Pour la mémoire de l'enfant sans visage, nous devons, avec force, faire entendre l'âme première de la révolution d'un peuple qui s'est levé avec un rameau d'olivier à la main.

Et à nouveau, élever ensemble, pour elle, ce cri : Wared Wared Wared.


Marion Coudert.





1 commentaire:

  1. Devant cette photo qui exprime de la manière la plus violente, l'enfant seule, "dormeuse du gravier", à l'instar du "dormeur du val", on ne peut que très timidement relever la force du texte qui la supporte, tellement indécent me semble tout commentaire ....et pourtant il faut en parler, il faut diffuser ces images de l'horreur indicible...!

    RépondreSupprimer