L'homme voulait rester assis au milieu de la place, à regarder passer les gens.
Il avait choisi une pierre, il voulait être cette pierre.
Il se taisait et savourait. Il regardait passer les gens.
Il était vieux et fatigué de son pays et de ses frères.
Mais aujourd'hui, il avait trouvé la place, la pierre et les gens.
Il s'amusait comme un enfant à regarder passer les gens.
Il souriait, il riait même et faisait claquer sa langue tant il était heureux de regarder passer les gens.
Un jeune homme en habit de soldat s'approcha de lui arrogant :
"Que fais-tu là vieux fou ? Tu ne sais pas qu'il faut marcher ? C'est interdit de s'arrêter. Lève-toi, marche, va-t'en.
- Non, je suis bien là, je regarde passer les gens. Veux-tu un bout de ma pierre pour voir le spectacle avec moi ?
- Lève-toi, je te dis ! Lève-toi tout de suite, c'est interdit de s'arrêter ! Tu n'as le droit que de marcher. Marche vieux fou, marche !
- Ah non, j'ai ma place, j'ai ma pierre, j'ai mes gens qui passent et je suis bien là."
Peu à peu, le ton montait chez le jeune homme en habit de soldat.
Les gens passaient un peu moins vite et regardaient sans s'arrêter l'imprudent assis sur sa pierre et le jeune homme en habit de soldat qui hurlait et le mettait en joug.
Mais l'homme ne le voyait plus. Il observait avec délice les gens qui ralentissaient sans s'arrêter puis pressaient le pas de plus belle. Il était un public comblé par la qualité du spectacle. Il riait, il applaudissait et faisait claquer sa langue tant il était ravi d'être au coeur de cette scène unique qui semblait n'être écrite que pour lui.
A bout de patience, le jeune homme en habit de soldat tira.
UN DEUX TROIS QUATRE CINQ SIX SEPT balles dans la poitrine de l'effronté.
Mais l'homme souriait encore, il n'avait pas bougé de sa pierre.
Marion Coudert
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