dimanche 4 mars 2012

Souvenez-vous

Souk d'Alep-Syrie. Photographie N.T. Camoisson
Le sang du printemps 25/...

Souvenez-vous.
Vous avez passé toute votre vie à marcher dans les rues de votre ville, votre enfance à fouler le pavé des trottoirs, votre jeunesse à engranger les images familières et rassurantes de votre ville en mouvement. Toutes vos racines sont là, dans ces rues, avec leurs boutiques, leurs visages connus et aimés, une certaine lumière, une certaine odeur,  un ancrage sûr, un paysage compagnon.

Maintenant imaginez.
Tout est rasé. Tout est détruit.  Tout est défait.
La lumière est brouillée. Les visages familiers sont soit partis, soit morts, soit disparus, soit terrifiés. Pas d'autre choix possible.  Les maisons qui ne sont pas détruites servent d'hôpitaux sans moyens pour palier à l'arrivée permanente de blessés, d'enfants, de femmes et d'hommes aux portes de la mort. Et vous ne pouvez rien faire. Les rues sont devenues des territoires dangereux, morcelés. Mille frontières les traversent. Et vous ne reconnaissez plus rien car il n'y a plus rien à déchiffrer à part la présence ou non de snippers positionnés sur les toits et attendant votre passage. Non, il n'y a plus rien à décrire en dehors d'un immense chaos, d'une immense détresse et de ce sentiment nouveau pour vous d'être au-delà de la peur dans les rues de votre ville.

Maintenant réfléchissez.
Vous réalisez que vous êtes seuls, que le monde vous traite comme une information, mais guère plus. Vous passez derrière des élections, des mouvements sociaux, des humeurs politiques, des soldes, l'inquiétude croissante pour le pouvoir d'achat, d'autres conflits de par le monde. De temps en temps, une lumière se fait plus prononcée sur vos rues meurtries mais ce n'est que pour éclairer le sort tragique des journalistes venus témoigner et vous accompagner, voix rares et fragiles. Et puis, votre ville sombre à nouveau dans les balancements politiques, statistiques, cyniques. Mais vous, vous êtes seul et vous vous noyez. Vous êtes seul et vous criez. Vous êtes seul et vous pleurez de cette solitude indigne qui vous blesse au plus profond de l'âme. Vous êtes seul.

Maintenant agissez.

Marion Coudert

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