lundi 19 mars 2012

Des hommes simples

Noria de Hama, détail. Syrie. Photo N.T.Camoisson
Le sang du printemps 30/...

Ils sont artisans. Artisans des norias de Hama. 
Ni des héros ni des voyous.
Des hommes simples.
Des hommes solides et résistants.
Et courageux.
Les norias sont pour eux des roues-maisons, des roues-refuges, des roues-jardins qui les protègent du reste des hommes.
Quand ils sont auprès des norias, tout s'efface.
Ils marchent sur la roue verticale comme si elle était au sol.
Ils marchent sur les bras de la roue comme s'ils étaient une route, un chemin connus depuis l'enfance, mille fois empruntés. La lourdeur des corps s'efface. Il n'y a plus d'âge ni d'embonpoint. Tout est souplesse, vivacité des corps. Chaque pas sur la roue est un souffle de plus, une respiration, une énergie gagnée.
Ils grimpent sur les pierres de l'aqueduc travaillé, sculpté par les passages de l'eau, la succession des saisons et les rigueurs du climat.
Ils grimpent sur la roue en devenir. Ils lui donnent vie patiemment, par étape, avec une allégresse discrète.

Ils dansent sur la roue.
Leurs bras s'élèvent, leurs corps s'étirent puis se voûtent et retombent avec vigueur sur les bois de la roue. Frappe des masses sur les clous et les cales. Rythme premier qui préfigure le chant à venir.
Qui le préfigure, l'appelle, lui rend déjà hommage.
Leurs danse, chargée d'une mémoire ancestrale, dessine la sagesse du mouvement, la virtuosité de la lenteur. Elle n'a d'autre ambition que de dessiner toujours l'harmonie de l'altérité et du renouvellement.

Ils ont des jardins qu'ils aiment comme ils aiment les norias.
Jardins d'oliviers, de jasmin, de légumes et de roses.
Des jardins comme une seconde maison où ils passent l'été le plus clair de leur temps. Les femmes y font pousser la menthe, le thym et le romarin. Les enfants y ont une aire de jeu secouée d'odeurs et de couleurs. Les jours de repos, ils s'y retrouvent en famille pour déjeuner à l'ombre des pêchers et des amandiers.

Ni des héros ni des voyous.
Des hommes simples. Des hommes solides et résistants.
Une vie d'hommes, de maris et de pères.
Une vie simple dans les campagnes qui entourent Hama.
Des jardins d'oliviers, de jasmin, de légumes et de roses.
Et des roues. A aimer, restaurer, accompagner, faire tourner.
Ces hommes-là sont s'ils sont dans la rue, s'ils chantent et crient des mots si longtemps silencieux, ces hommes-là n'ont pour toute arme que leur chant et leur cri.
Et des jardins et des norias comme étendard.

Marion Coudert

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