lundi 12 janvier 2015

De l'amitié entre les peuples... et de la responsabilité...


Affiche@Nicolas T. Camoisson, mars 2012
Lettre ouverte à l'association Souria Houria et à ses amis,

L'amitié entre les peuples se construit chaque jour de ces amitiés particulières...
Aucun appel à la solidarité ne peut être entendu s'il n'a pas pour fondement la volonté d'une avancée commune et d'une réelle fraternité.

Je suis libre et, en écrivant aujourd'hui, je continue à exercer mon droit à la liberté d'expression. Ne devons-nous pas le défendre, ce droit, plus que jamais ?

Depuis le début du soulèvement syrien, je me suis levée à ses côtés et j'ai créé ce blog. C'était ma façon à moi, citoyenne française, d'être, tous les jours, auprès de mes amis syriens contre la barbarie. Un travail quotidien que j'ai mené sans penser à autre chose. Une folie pour ma vie personnelle... Mais une folie à la mesure de l'amitié qui me lie au peuple syrien. Et un devoir. Un devoir d'engagement. Ni plus ni moins.

La seule démarche qui fut la mienne, dans le cadre de ce blog, a été de me tenir à vos côtés en dessinant les fils de l'humanité de votre peuple, en montrant la beauté de votre pays, la douceur et la fraternité qui vous habitent, malgré les affronts de la barbarie. Au-delà de mon blog, vous le savez aussi, bien avant la révolution de 2011, il y a eu une noria de Hama au nom Al Salam, la Paix, qui honorait votre peuple à l'Exposition Internationale de Zaragoza 2008 et puis des expositions, des ouvrages dont Le Sang du Printemps etc etc... (lisez le blog...)

Cette démarche, toute poétique qu'elle soit, est profondément politique. Les lectures nombreuses de mon blog, en France mais aussi dans divers pays dans le monde, attestent de sa faculté de rassembler et de questionner au-delà des appartenances. Ce blog toujours qui, depuis mon silence en avril 2014, continue d'être lu a donc quelque utilité... Et s'il n'en n'avait qu'une seule, elle est infiniment précieuse : nommer l'espace commun entre nos sociétés, nos cultures, nos humanités...

N'est-ce pas là l'essentiel à redire toujours contre la barbarie ?

Si j'ai pu le faire, si j'ai voulu le faire, c'était grâce à cette amitié, ces amitiés particulières avec Yasser, Azzam, Fayçal, Khaled, Naïm, Ahmed... L'amitié entre les peuples, ce n'est pas autre chose que ça : une histoire de rencontres et de reconnaissances, une même vision où les rires s'emmêlent, un sens du partage, une ouverture, un don, un échange de savoirs, un enrichissement...

Et puis je me suis tue, épuisée de trop de violences faites à votre peuple, et d'avoir à me battre, par dessus le marché, contre votre indifférence et votre manque de fraternité. Je me suis souvent interrogée sur la raison de ce déni. Pas assez bien pour vous ? Trop amoureuse de la Syrie ? Pas assez politique ? Pas assez d'entre-gens ? Trop "électron libre" ? Trop ?  Pas assez ? Quoi ?

Pourtant - déni toujours - vous avez soutenu et honoré le projet 1001 cartes pour les enfants de Syrie que nous avons imaginé, conçu et impulsé avec Nicolas Camoisson, français mais bien enfant de Syrie lui aussi... Parce que oui les enfants de Syrie, aujourd'hui et depuis le départ ça nous broie le coeur...
Pourtant, depuis le départ, vous indiquez sur votre site mon blog dans les "sites syriens"...
Et que dire aussi de votre absence à l'Iremmo en mars 2013 lors de notre exposition sur les artisans des pneus d'Alep ? N'êtes-vous pas du quartier ?...

Et puis, je me suis dit, dans la foulée de cela, que je ne devais pas être la seule.
Nous sommes déjà si peu nombreux à nous lever pour le peuple syrien, et vous avez raison de dénoncer le silence et l'indifférence. Mais combien sommes-nous à traverser en plus le déni de ceux qui, en France, représentent la défense du peuple syrien ? Comment comprendre cet accueil sélectif de la solidarité ?

Le silence répare. Et je me suis réparée parce que j'ai fait face à ma fragilité. Et je revendique ce droit-là : celui d'être faillible. Nous le sommes tous. Avez-vous toujours été des héros ? Ne flanchez-vous jamais ? N'avez-vous jamais besoin des autres ?

On appelle à l'unité aujourd'hui en France, face aux fous, aux criminels, à l'obscurantisme.
On défile, c'est historique, un merveilleux instant de fraternité... Mais demain ? 
L'Europe se replie, les haines à venir jubilent déjà du formidable champ à explorer dans nos pays dits libres. Déjà le mot "amalgame" a pris le pas sur celui de "fraternité" et si nous sommes tous inquiets c'est parce que nous savons très bien que la corde est plus que jamais tendue entre les communautés et que le fameux "vivre ensemble" a une odeur de soufre depuis un moment déjà.
Alors voilà, les enjeux sont importants aujourd'hui  : avancer ensemble ou choisir de ne pas être une force. 

Je n'écris pas pour moi. J'ai pris mon parti de tout cela. La Syrie est dans mon coeur et rien ne peut changer cela.
Mais j'écris pour ceux qui viennent à vous avec ce qu'ils sont, juste pour être avec vous. Et j'écris pour vous. Vous qui défendez si vaillamment la liberté et la dignité du peuple syrien. Et je prends la liberté de vous interpeller car c'est de votre responsabilité de ne pas négliger, de soutenir et de ne pas exclure des citoyens comme nous, simples mais engagés, et avec une voie qui a su porter et porte encore.

Marion Coudert.

2 commentaires:

  1. Bonjour, je vous lis depuis longtemps et votre blog est précieux.
    Nos amis syriens vivent une période tragique d'où peut-être ce silence. beaucoup ont de la famille emprisonnée d'où peut-être une peur de s'exprimer. La barbarie paraît victorieuse en ce moment. Et les gouvernements occidentaux ont tellement promis et lâchement abandonné le peuple syrien. Lorsque l'on voit la détresse dans les camps, la mort, la faim, chacun pleure en silence. Mais vous avez raison, il faut un sursaut, se taire c'est accepter.

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  2. N'empêche... c'était il y a un an.
    Le printemps n'est toujours pas là. Il y a de quoi perdre la tête ici, et tellement là-bas.
    Comment contenir ses repères, protéger ses valeurs, comment ne pas se replier égoïstement sur soi et sur ses besoins primaires dans l'attente de ce demain qui n'existe pas ? Dieu seul sait ce qui peut se passer dans l'esprit de chacun. La guerre ronge.
    J'ai honte de ne pas voir ce jour arriver pour la Syrie, et sur ce qui traverse le moyen orient.
    Votre écriture est une résistance Marion. A votre niveau vous êtes un de ces témoins secourables dont parle la pédo-psychiatre Alice Miller. C'est ce regard bienveillant et cet amour sur l'enfant maltraité et en souffrance qui permettent à ce dernier de trouver la force de grandir et qui le protège dans sa construction identitaire de dommages irréversibles. Alors oui, peut-être êtes-vous parfois une voix(e) dans la nuit mais si je me réfère à une métaphore radiophonique chacun sait combien elles sont importantes et primordiales pour tout un ensemble de personnes ces voix-là.
    J'aime à penser que vous allez continuer à passer par là de temps en temps, en mots, en images et en coups de gueule, vous le faites très bien aussi.
    De l'encre et des photos pour réchauffer du froid de cet hiver interminable, pour éveiller, nourrir et engagés des esprits curieux, pour témoigner encore et toujours, pour rester une voie dans le désert, pour demain le printemps.


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