vendredi 28 mars 2014

Quelle victoire ?

Bimaristan Argoun - Alep - Syrie ©Nicolas T. Camoisson
Parce qu'ils ambitionnent de soumettre la terre et le peuple. Parce qu'ils brûlent tout, s'acharnent, jouissent des ravages qu'ils orchestrent. Parce qu'ils n'ont qu'un langage de sang et de fureur. Parce qu'ils ont choisi de posséder au lieu de partager. Parce qu'ils n'ont d'autre vision que celle du chaos qu'ils déroulent sans fin. Parce qu'ils ne se définissent plus qu'en seigneurs mortifères, régnant sur les cendres d'un avenir qu'ils renient. Parce qu'ils veulent la peau de leur terre, et qu'ils la noieront, s'il le faut, dans la boue de leur folie. Parce qu'ils veulent la peau de leur peuple. Jusqu'au dernier homme libre. Jusqu'à la dernière femme debout. Jusqu'au dernier enfant qui s'éveille. Parce qu'ils ont fait le choix de la nuit.
Parce qu'ils ont imposé la nuit, ils nous privent d'une terre et d'un peuple. C'est une violence moindre et sans comparaison à ce qu'ils échafaudent pour hisser leur drapeau.
Mais c'est violence aussi.
Interdites, les berges du Barada. Hors d'atteinte, la majesté des matins de Tadmor. Empêché, le souffle court sur les marches de Bosra. Censurée, l'histoire à parcourir dans les pénombres du Krak des Chevaliers. Condamnées, les marches chargées de tous les brassages dans le souk d'Alep. Fantôme désormais. Prohibé, le chant des belles, des nobles roues de l'Oronte. Révoqué, le jasmin délicieux dans les rues damascènes.

Et parce qu'ils tuent chaque élan libre qui s'élève. Parce qu'ils étouffent tous les chants de la vie, ils nous privent d'un peuple, de la beauté d'un peuple. Ils nous interdisent cette rencontre qui, loin de nous diminuer, nous grandit et nous irrigue. Ils pensent qu'ils nous blessent. Ils savent qu'ils nous blessent. Ils veulent nous atteindre, ferrer notre silence. Ils croient en la force de l'habitude. Ils croient tenir là leur victoire, plus sûre à chaque jour meurtri.

Mais ils s'aveuglent. Ils ont perdu. Ils sont perdus.
Ils ne pourront jamais briser l'élan de la mémoire.
Ils ne pourront jamais faire plier sous leurs feux la puissance exemplaire de ceux qui ont marché.
Tous ceux qui sont morts.
Tous ceux qui ont disparu.
Tous ceux qui ont résisté.
Tous ceux qui résistent encore.
Tous ceux-là, mémoire et force pour demain.
Et levier.
Et victoire.

Marion Coudert

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