vendredi 7 février 2014

S'il n'y a que la laideur....



Il y a quelques temps, j'étais assise à côté d'une personne syrienne qui parlait à d'autres de son pays. Elle en disait la laideur. Elle n'en disait que la laideur et la corruption et insistait sur le fait que les artistes, jeunes et moins jeunes, jeunes surtout, qui défendaient avec leurs oeuvres la révolution, étaient, pour la plupart d'entre eux en exil, et qu'ils constituaient un élément marginal, insignifiant de l'histoire actuelle de la Syrie. A l'écouter, nous avions le devoir d'être réalistes et de laisser définitivement de côté toute vision définie, à ses yeux, comme romantique, naïve, fausse.

En 2012, Nicolas et moi avons tenté un appel à financement participatif pour notre ouvrage "Le Chant des norias, un chant pour le peuple syrien". C'est un livre qui rend hommage aux belles roues, à leurs mouvements de vie et une pensée pour le peuple syrien avec l'espoir de la paix pour lui. Nous n'avons pas abouti à cette époque, mais nous publions ce livre aux éditions Ici&Là au printemps 2014. Lors de cet appel, j'avais reçu des courriers de personnes qui m'indiquaient qu'il était indécent de parler d'un élément patrimonial syrien alors que tant de gens mouraient et souffraient. Je suis heureuse de constater aujourd'hui qu'il y a un vrai mouvement de réflexion et de soutien autour du patrimoine syrien. L'idée a donc fait son chemin que le patrimoine est une mémoire précieuse, qu'il est le socle sur lequel ce qui est détruit pourra se reconstruire. Et ce, bien au-delà de la pierre, jusque dans le coeur d'une identité que certains n'ont de cesse de briser, broyer, annuler.
Ainsi donc, il est désormais convenu que le patrimoine, les paysages, les coutumes, la beauté de la terre de Syrie sont une force. Et peut-être aussi le chemin pour une bataille déjà remportée sur un adversaire qui s'acharne d'autant plus qu'il sait parfaitement que ce qui est en jeu c'est justement cette identité, la fierté d'une histoire, la poésie d'une langue, une façon d'être et de concevoir le monde, la société, la vie, l'humain. Et plus il détruit, plus il enrage de voir que tout cet héritage, bien souvent négligé ou peu regardé avant la révolution, est aujourd'hui connu, reconnu, aimé, défendu. D'autant plus.

Je voudrais dire à cette personne qui ne voit que du laid dans tout ce qui se rapporte à la Syrie, qu'elle a raison, que tout est laid aujourd'hui. Et que l'on touche au plus laid, au plus sale de l'humain à torturer des enfants, à faire mourir les gens de faim, volontairement, à emprisonner, enlever, détruire, détruire, détruire.

Mais je voudrais aussi lui dire qu'elle a tort, que le seul réalisme à avoir est la conscience que nous sommes loin de la Syrie, protégés, au chaud, nourris, sereins. Et que la seule attitude qui prévaut est l'humilité dans tout ce que nous tentons pour la Syrie. Et la conscience que ce que nous faisons individuellement n'est rien, ne peut rien face à la folie de destruction et de haine qui en cours. Cependant, quoique nous fassions, nous sommes responsables des images que nous véhiculons de la Syrie. N'évoquer que la laideur revient à nier l'existence de tous ceux qui sont en prison, disparus, torturés, morts, en exil  parce qu'ils se sont levés pour proposer un autre chemin pour leur pays.

Et je voudrais encore lui dire qu'elle se trompe, qu'il vaut mieux préférer cette naïveté et même la choisir en toute lucidité. C'est sans doute la voie qu'emprunte Tammam Azzam, cet artiste syrien qui ne se tait pas et continue à imaginer, réagir, contester. Et à nous interpeller, à nous garder sur les chemins de l'intranquillité.
C'est sans doute aussi la voie de tous les artistes syriens et de chacun de ceux qui luttent, à leur mesure, avec leurs moyens, pour que la Syrie prenne un jour le chemin de la liberté, de la tolérance et de la justice.

Sans cette vision délibérée du présent, il n'y a plus d'espoir possible.
Sans cette confiance volontaire, le cynisme est la seule alternative.
Sans cette posture assumée, tout souhait de solidarité est vain.
Sans cette naïve folie, alors tout est perdu.

Marion Coudert

Légende des images :
1- Oeuvre de l'artiste syrien Tammam Azzam. (http://www.lorientlejour.com/article/850121/tammam-azzam-a-la-galerie-ayyam.html)
2- Camp palestinien de Yarmouk au sud de damas où l'on meurt de faim aujourd'hui. 


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