jeudi 25 juillet 2013

Des mots...


Les mots désormais se heurtent à chaque massacre. Ils s'étiolent dans la misère des camps d'infortune, quotidien banal, relégué dans un fil continu d'informations secondaires. Médiocres les mots... Indignes, tellement éloignés, si peu à même de rendre compte du flot déchaîné des souffrances d'un peuple que rien ni personne ne sauve.
Ces mêmes mots ont pourtant engrangé, au fil de l'histoire des hommes, en un panel infini, toutes les nuances possibles pour transcrire au plus juste, le pire et le meilleur, l'équilibre et la folie, l'espoir et la fraternité.
Mais sur le champ de bataille de la terre bleue de Syrie, les mots sonnent le repli. Durant deux ans, ils ont joué cartes sur table dans diverses parties, plus ou moins importantes, plus ou moins inutiles. En salves, on a vu débarquer les mots colère d'un peuple qui s'est levé contre l'oppression, mots hissés haut d'une révolte fière que guidait le besoin vital de la liberté. Ces mots-là chantés, scandés par la jeunesse, les femmes et les hommes de la terre de Syrie. Ces mots-là : tranchés dans le vif des gorges courageuses. De colère, les mots ont opté pour la rage du courage, tenant bon sous le feu des tortures, niés jusque dans leur essentiel, ils n'ont pas renoncé. Puis sont entrés en lice les mots du désespoir et de la honte pour dénoncer le meurtre des enfants, le martyre d'un peuple, le silence du monde.

Tant de mots levés autour d'un calvaire accepté dans une débâcle consensuelle, consciente de la traîtrise faite à l'humain. Des défilés de mots. Mots bouillonnants pour crier l'horreur, implorants, déchirés, si blessés pour appeler au secours. Mots enragés pour nommer l'aveuglement et le supplice qu'il provoque. Mots courageux, sans pathos, pour dénoncer les exils, les destins brisés et les vies suspendues sous les lignes de tentes. Mots froids pour analyser, poser les contours des stratégies et botter en touche. Mots avides pour parler de cette cause plutôt que d'une autre et se faire un nom dans la foulée. Mots manipulés pour semer le trouble. Mots haineux pour appeler à la lutte encore, à finir le travail d'une mutilation voulue la plus vaste possible. Et puis ceux déterminés pour maintenir l'espoir, confiants malgré les cascades d'affronts, volontaires, debout. Ont cheminé aussi, peu nombreux de par le monde, dans une discrétion contrainte, les mots de la douceur, de la fraternité et de la compassion pour tenter d'éveiller à une solidarité nécessaire, urgente. Et ceux d'une mémoire pour dire la beauté des pierres travaillées et la grandeur de l'histoire syrienne. Et ceux professionnels, au sens très noble du mot "noble", de ces mots posés en termes médicaux pour décrire l'extrême gravité des blessures dans la chair et la faillite de la plus élémentaire de l'assistance que l'on doit à l'autre, quel qu'il soit.

Quels mots encore ?
Puisque tout a été dit. Puisque tout se répète dans une litanie qui tourne à vide, impuissante.
Et que les mots ne trouvent plus les chemins du coeur.
Il reste le silence, ponctuation et souffle, pour veiller dans la nuit, les enfants de Syrie.

Marion Coudert.

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