lundi 15 avril 2013

Veiller la Syrie. Florence Ollivry.


Elle fait partie de ceux qui veillent la Syrie et son peuple, fidèlement, avec amour et générosité, sans jamais baisser la garde.
Elle incarne à elle seule ce lien puissant qui nous unit à ce pays, à sa grande culture, à ses coutumes raffinées, à sa diversité exemplaire.
Bien avant la révolution, bien avant la destruction en cours de la Syrie, elle a hissé haut ses couleurs dans deux ouvrages d'autant plus précieux aujourd'hui qu'ils décrivent un monde qui tend à s'effacer. Lisez, relisez "Les Secrets d'Alep" et "La soie et l'Orient", vous y trouverez aisément un chemin pour approcher, vous immerger et aimer cet autre Orient, cette autre Syrie, la belle Syrie. Vous vous placerez alors loin de ces images de violence qui faussent notre vision aujourd'hui, de celles qui réduisent le peuple syrien à un combat lointain, un de plus de par le monde. Et vous saisirez d'autant mieux la perte et la douleur de cette perte lorsque vous aurez séjourné avec Florence Ollivry auprès des femmes alépines, de leurs secrets culinaires, de ce raffinement particulier mêlé d'histoire, de traditions, de croisements et de douceur. Et vous mesurerez plus encore l'immensité de cette perte auprès des derniers artisans magiciens de la soie, détenteurs de tant de fils d'histoire, maîtres d'oeuvre de nos rêves lorsque nos mains frôlent les tissus, leurs reliefs, leur limpide et sage présence dans nos quotidiens.

En février 2013, en hommage aux victimes du bombardement de l'Université d'Alep, dans le cadre de la manifestation "Alep ville ouverte" organisée à Paris par l'association NORIAS, Florence Ollivry a repris le chemin des Neuf portes d'Alep en une Procession évocatoire qui ranime autant la grande histoire de la merveilleuse Alep que la souffrance infligée par sa destruction méthodique aujourd'hui.

Dans la belle langue qui est la sienne, elle la fait revivre : " L'imposante citadelle de pierre qui la surplombe était, jusqu'à une époque récente, le symbole de son intemporalité, le gage de son immuabilité à travers les âges... On s'y promenait au soleil, le vendredi, le coeur plein d'une indolente confiance en la vie. et nous pensions que la barbarie des croisades et des invasions mongoles appartenaient désormais à un passé révolu...".

La pluralité qui fait la richesse d'Alep, elle la réaffirme en ouvrant pour nous la porte d'Antioche, Bâb Antakyah : "le coeur de la ville vibre au rythme de la lune, du soleil, des calendriers musulmans, chrétiens ou yézidis. Au fil des siècles, ses pierres ont appris bien des langues : elle parle l'arabe, le syriaque, l'arménien, le chaldéen, le kurde... Si Alep est devenue à ce point riche et métisse, c'est qu'elle est, parmi toutes, l'Hospitalière. Abû Firâs al-Hamadânî, après avoir "parcouru le monde, Orien et Occident" écrit que ses regards ont vu tous les horizons, et que nulle part il n'a trouvé ville aussi hospitalière qu'Alep".

Lorsqu'elle nous entraîne vers la porte des jardins, Bâb al-Djenain, c'est à ces sens qui sont essentiels, qui rythment nos quotidiens qu'elle fait appel :  "Non loin du fleuve Quweik, cette porte donnait sur des jardins dont le rythme saisonnier colorait et parfumait les souks de la cité. Chaque saison apportait son lot de travail culinaire : fin février, les amandiers et les néfliers bourgeonnaient, suivis bientôt par les abricotiers, les pêchers et les pruniers. A la fin de l'hiver, on réalisait des sirops de citron, d'orange, de pamplemousse et de mandarine. Au mois de mai, les femmes se réunissaient pour constituer la mouné annuelle de fromage tressé (mchallalé) et réaliser ensemble la confiture de roses. En juin, venait l'époque de la confiture de cerises vichné, puis celle des prunes-cerises mieux connues sous le nom de "qarassiyé". En septembre, on se réjouissait de pouvoir déguster des pistaches fraîchement cueillies... Chaque saison était attendue avec impatience et enthousiasme, car elle était prometteuse de nouveaux festins. "

Ce qu'est Alep, son coeur, son âme, ce dont elle vibre, elle l'inscrit dans un souffle : " ô nuits d'Alep... Elan de l'âme humaine vers la voûte céleste... Ville noctambule, ville ivre d'envol et de veillées musicales... Lorsque je l'ai connue, Alep n'était jamais vraiment réveillée et elle n'était jamais vraiment endormie... Les diners et les flâneries nocturnes y duraient volontiers jusqu'à l'aube. Et lorsque le chant du muezzin annonçait l'imminence de la prière de l'aube, la ville venait à peine de s'endormir. Alep la musicienne comptait autrefois de nombreux salons de musique, qui se déroulaient le plus souvent dans l'intimité de cercles d'initiés, amis de tel ou tel chanteur ou instrumentiste. personne ne pouvait jamais dire d'avance à quelle heure un concert de musique arabe traditionnelle prendrait fin. Au cours de cet envol, certains se levaient et commençaient à danser."

Et parce que nous devons garder l'espoir, continuer de veiller la Syrie, ne pas fermer les yeux, ne pas renoncer, elle engage sa main, sa foi et sa confiance en un avenir délivré des souffrances : "Alep brûle aujourd'hui, Alep rougeoie, sa face est empourprée. Et c'est pourtant vers elle qu'il convient de tourner nos regards. L'actualité et les sinistres litanies du décompte des martyrs ne doit pas ébranler notre foi : c'est à l'est que le soleil se lève, et c'est à Alep qu'au terme d'une âpre lutte, al lumière prendra le pas sur les ténèbres. Après la mort du Sheikh al-Ishrâq, la lumière de ses textes nous éblouit encore aujourd'hui. De même, il nous faut croire aujourd'hui que le sang des fils d'Alep n'aura pas été versé en vain, et que c'est sur Alep que se lèvera le soleil..."

Si les nouvelles que nous assènent les médias vous rebutent et détournent votre attention, si vous vous sentez impuissants, trop lointains pour agir, lisez et relisez Les neuf portes d'Alep, Procession évocatoire dans son intégralité là : http://souriahouria.com/les-neufs-portes-dalep-procession-evocatoire-par-florence-ollivry, vous y retrouverez le chemin d'une solidarité essentielle.

Marion Coudert.

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